De qui se moque-t-on : des enseignants ou des étudiants ? C’est la question que ne manquera pas de se poser quiconque prendra connaissance de l’annonce de poste diffusée discrètement par l’université Montpellier-III [1]. Cette annonce scandaleuse, est parue sur la liste des doctorants de l’université de Paris-1, le 19/6/2013 :
Pour la rentrée 2013-2014, le département de philosophie de l’Université Montpellier III – Paul Valéry doit pourvoir un poste d’enseignant contractuel devant assumer 384h/an, pour un salaire d’ATER. Ce poste est susceptible d’être reconduit une année supplémentaire. Il peut être assumé par des enseignants ayant déjà épuisé leur quota d’années d’ATER. Les enseignants du second degré souhaitant se présenter à ce poste doivent demander une mise en disponibilité. Pour toute demande de renseignement et/ou dépôt de dossier de candidature (CV+ lettre de motivation), merci de vous adresser au directeur du département […]. Les candidatures doivent avoir été reçues avant le 27 juin 2013 (le plus tôt étant le mieux).
Un salaire d’ATER s’élève à 1665,98 € nets/mois, auxquels s’ajoute la prime de recherche et d’enseignement supérieur annuelle de 1 244,98 € bruts. Ce salaire, parmi les plus faibles de l’enseignement supérieur français, sans même parler des pays de l’OCDE, est toutefois proposé pour un statut exigeant d’assurer 192h de cours[2]. Ici, le même salaire est proposé pour une charge de cours doublée et pour un statut n’offrant pas les mêmes garanties : qui dit mieux ?! On reste ébahi qu’une telle annonce puisse même être diffusée… Assurément, ce n’est pas une première depuis le vote de la LRU, mais c’est une première en philosophie[3].
N’accablons toutefois pas les collègues du département de philosophie de Montpellier. Ils ont d’abord refusé ce poste avec détermination ; mais la Présidence de l’université Montpellier-III n’a rien voulu savoir et a fini par le leur imposer.
Bien sûr, la situation budgétaire de plusieurs universités est gravissime et découle directement de la loi LRU[4]. Bien sûr, la Présidence de l’Université montpelliéraine cherche probablement à assurer son offre de formation avec les moyens du bord sans trop pénaliser les étudiants.
Mais on avait connu la Présidente de Montpellier-III plus courageuse et, surtout, on s’attendait, de sa part, à un peu plus de rigueur dans les principes. D’Anne Fraïsse, en effet, les opposants à la LRU avaient plutôt gardé un bon, voire un très bon souvenir : elle faisait partie de ces Présidents et Présidentes d’université courageux-ses qui avaient pris position à de multiples reprises contre les effets délétères de la loi[5]. Particulièrement lucide, elle avait même interpellé publiquement F. Hollande sur les problèmes de l’enseignement supérieur[6]. SLU et SLR relayaient ses appels et on se disait qu’au Sud, une petite communauté universitaire résistait à l’envahisseur comptable et continuait à se battre[7].
Las, il semble que l’on se soit résigné à Montpellier ; il est d’autant plus désespérant que ce soit cette université qui, parmi les premières dans nos disciplines, s’insère résolument dans la logique managériale consistant à faire travailler plus pour gagner moins, tout en sabordant les principes du travail et de l’enseignement universitaires, consistant à appuyer les enseignements sur la recherche.
Avec 384 heures par an à assurer, soit, en raison de la semestrialisation, environ 16h de cours par semaine, qui pourra bien encore mener une quelconque activité de recherche ? On peut s’attendre à ce que les titulaires d’un concours de l’enseignement secondaire se garderont bien de postuler, puisque ce contrat les contraindra à se mettre en disponibilité et leur faire perdre le bénéfice de l’avancement ; on peut donc s’attendre à ce que ce soient les personnels les plus précaires qui candidateront, notamment les étrangers. Ils se retrouveront dans le cercle vicieux consistant à assurer le double service d’un.e maître de conférences sans pouvoir réaliser la moindre recherche qui leur permettrait précisément de pouvoir prétendre aux postes de maître de conférences ! Sachant par ailleurs que la situation de l’emploi universitaire est dans un état de marasme avancé, avec seulement 7 postes de maîtres de conférences proposés au concours en section 17 (Philosophie) cette année[8].
Chercher à faire des économies budgétaires est un principe général par les temps qui courent. Mais où est passé le respect des enseignants, des docteurs, des étudiants et des valeurs universitaires brillamment défendues, il y a quelques mois encore, par Anne Fraïsse ? L’université de Montpellier-III, désormais désespérée, chercherait-elle à se saborder ?
L’équipe de rédaction d’Academia
Liens:
- Position Qualité de la Science Française: http://www.qsf.fr/2013/06/22/communique-sur-la-publication-dun-poste-denseignant-temporaire-a-luniversite-de-montpellier-iii/
- Academia sur l’exploitation des travailleurs formés aux sciences humaines et sociales: http://academia.hypotheses.org/657
- Annonce de l’Université de Clermont-Ferrand:
De : Dacia DRESSEN-HAMMOUDA <Dacia.HAMMOUDA@univ-bpclermont.fr>
Date : 14 juin 2013 14:49
Objet : [membres@geras.fr] JOB: CONTRACTUEL Université Blaise Pascal Clermont-2Le département d’anglais à L’UFR Langues Appliqués, Commerce et Communication à l’Université Blaise Pascal (Clermont 2) recrute un contractuel en anglais pour l’année 2013-2014.
La personne recrutée assurera 384 heures de cours (environ 20 heures hebdomadaires) dans les filières professionnalisées de l’UFR (LEA, Commerce International, Sciences de l’Information et de la Communication), aux niveaux licence et master:
– langue écrite
– langue de spécialité
– langue orale (Espace Langue Hypermédia http://englishlab.univ-bpclermont.fr)
Le candidat doit être titulaire d’un master ou d’un concours (Agrégation, CAPES). Des compétences en apprentissage des langues et en TICE seraient un plus. La rémunération est de 1480 euros mensuels (brut).
Merci d’envoyer un CV à Dacia.Hammouda@univ-bpclermont.fr
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Dacia Dressen-Hammouda
Directrice, Master Ingénierie de la documentation
technique multilingue
Directrice, Département d’anglais à l’UFR LACC
Maître de Conférences en Anglais de Spécialité
Docteur en Linguistique
UFR LACC
Université Blaise Pascal, Clermont 2
34, avenue Carnot
63037 Clermont-Ferrand Cedex
FRANCE
Tél. (+33)(0) 473 406 420
Fax (+33)(0) 473 406 424
Laboratoire ACTé: http://acte.univ-bpclermont.fr/article70.html
Master IDTM: http://www.lacc.univ-bpclermont.fr/article193.html
- Section 17 du CNU: Prise de position de la section 17 sur la publication d’un poste d’enseignant contractuel à l’Université de Montpellier III-Paul Valéry
« Pour la rentrée 2013-2014, le département de philosophie de l’université Montpellier III – Paul Valéry doit pourvoir un poste d’enseignant contractuel devant assumer 384h/an, pour un salaire d’ATER.
Ce poste est susceptible d’être reconduit une année supplémentaire. Il peut être assumé par des enseignants ayant déjà épuisé leur quota d’années d’ATER. Les enseignants du second degré souhaitant se présenter à ce poste doivent demander une mise en disponibilité.
Les candidatures doivent avoir été reçues avant le 27 juin 2013 »
Certaines UFR et certains départements de Philosophie, contraints par la mise en place des maquettes de la future Licence, le plus souvent à moyens constants, ou plus généralement par les difficultés financières de plus en plus criantes que connaissent la plupart des Universités en France, ont opté pour des solutions, budgétairement satisfaisantes au regard des services centraux mais d’une extrême gravité pour notre discipline et d’un coût humain inacceptable. A la pratique déjà contestable de créer des postes de PRAG en lieu et place de postes de Maître de conférences, s’ajoute aujourd’hui la création d’enseignants contractuels, (384 h dans les deux cas au lieu de 192h). Cette situation va de pair avec le peu de postes de MCF mis au concours cette année (7), et revient à “offrir” à tous les candidats qui n’ont pu être recrutés une “solution” qui ajoute la précarité à la pénurie. Agir ainsi revient purement et simplement à supprimer des postes d’enseignants-chercheurs dans notre discipline, et à prêter la main à une politique qui ne donne pas aux établissements d’enseignement supérieur les moyens de la réforme mise en place par le Ministère, pas plus que ceux d’assurer les missions traditionnelles de l’Université, dont celle d’un enseignement adossé à la recherche. La section 17 tient à manifester sa très vive opposition à de telles mesures, le recrutement d’un PRAG revenant de fait à supprimer deux postes de MCF, et celui d’un enseignant contractuel, effectuant un service de 384h pour un salaire d’ATER, créant un précédent qui déshonore l’Université.
Texte adopté à l’unanimité (46 votants, 44 votes exprimés, 44 oui)
- Communiqué de la coordination nationale des directeurs/trices de Départements et UFR de philosophie (27 juin 2013) :
La coordination nationale des directeurs et directrices d’UFR et de départements de philosophie a pris connaissance de créations de postes d’enseignants contractuels dans plusieurs disciplines et plusieurs universités, notamment en philosophie, postes qui consistent à proposer des services de PRAG, 384 HETD, rémunérés à hauteur d’un salaire temps plein ATER, voire beaucoup moins. La situation financière catastrophique dans laquelle se trouve un certain nombre d’universités pousse de plus en plus les services centraux de ces dernières à développer des postes de ce type, qui visent à assurer à moindre coût les offres de formation proposées. Nous, directeurs, directrices de départements et d’UFR de philosophie, avons fait approuver par l’ensemble des membres titulaires de nos départements et UFR la motion suivante votée par la section 17 du CNU (Philosophie) :
« Certaines UFR et certains départements de Philosophie, contraints par la mise en place des maquettes de la future Licence, le plus souvent à moyens constants, ou plus généralement par les difficultés financières de plus en plus criantes que connaissent la plupart des Universités en France, ont opté pour des solutions, budgétairement satisfaisantes au regard des services centraux mais d’une extrême gravité pour notre discipline et d’un coût humain inacceptable. A la pratique déjà contestable de créer des postes de PRAG en lieu et place de postes de Maître de conférences, s’ajoute aujourd’hui la création d’enseignants contractuels, (384 h dans les deux cas au lieu de 192h). Cette situation va de pair avec le peu de postes de MCF mis au concours cette année (7), et revient à “offrir” à tous les candidats qui n’ont pu être recrutés une “solution” qui ajoute la précarité à la pénurie. Agir ainsi revient purement et simplement à supprimer des postes d’enseignants-chercheurs dans notre discipline, et à prêter la main à une politique qui ne donne pas aux établissements d’enseignement supérieur les moyens de la réforme mise en place par le Ministère, pas plus que ceux d’assurer les missions traditionnelles de l’Université, dont celle d’un enseignement adossé à la recherche. La section 17 tient à manifester sa très vive opposition à de telles mesures, le recrutement d’un PRAG revenant de fait à supprimer deux postes de MCF, et celui d’un enseignant contractuel, effectuant un service de 384h pour un salaire d’ATER, créant un précédent qui déshonore l’Université. »
A l’heure actuelle, et sans présager de certains votes qui n’ont pu être encore effectués, cette motion a été approuvée par 17 départements et UFR de philosophie en France. Forts de cet élan, nous invitons tous nos collègues universitaires, philosophes ou non, à résister à la tentation d’accepter ces solutions qui ne feront que ruiner l’idée que nous nous faisons d’une université digne de ce nom et qui ne manqueront pas de mettre en péril les postes statutaires et pérennes dont l’université a besoin.
Premiers signataires :
– UFR de philosophie, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,
– Faculté de philosophie, Université de Strasbourg,
– Département de philosophie, Université de Franche Comté,
– Département de philosophie, ENS Ulm,
– Département de sciences humaines, ENS Lyon,
– Département de philosophie, Université de Picardie Jules Vernes,
– Département de philosophie, Université de Bourgogne,
– Département de philosophie, Université de Nantes,
– Département de philosophie, Université de Rouen,
– Département de philosophie, Université de Toulouse II Le Mirail,
– Département de philosophie, Université de Poitiers,
– Département de philosophie, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3,
– Département de philosophie, Université Blaise Pascal, Clermont -Ferrand,
– Département de philosophie, Université Paris Ouest Nanterre La Défense,
– Département de philosophie, Université Paris 8,
– Faculté de philosophie, Université Jean Moulin Lyon 3,
– Département de philosophie, Université François Rabelais, Tours.
[1]. Cette annonce ne figure en effet nulle part sur le site de ladite université : http://www.univ-montp3.fr/
[2]. Voir le statut de l’ATER : http://www.education.gouv.fr/cid1217/les-attaches-temporaires.html. Pour une analyse sur leur disparition annoncée : http://sociolog.cluster003.ovh.net/spip.php?article171&lang=fr
[3]. Voir par exemple : http://www.fabula.org/actualites/postes-lru-cdd-7-mois-1800-e_43878.php. Ou encore l’annonce faite par l’Université de Clermont-Ferrand (384h de cours annuels; 1480€ bruts mensuels) reproduite en Liens. L’université de Bretagne-Sud semble recourir sans vergogne à ces postes et publie en ligne les annonces d’emploi dans d’autres disciplines: http://sud.education56.ouvaton.org/IMG/pdf/Tract_26-11-12.pdf; exemples profil-cdd-lru-0100-1-sis; profil-cdd-lru02-379; poste-cdd-lru-7587-7588-biologie. La relative discrétion de l’université de Montpellier-III en la matière peut laisser supposer que d’autres universités pourvoient d’autres postes contractuels de 384h sans recourir à la publication des offres d’emploi.
[4]. Voir la réaction de la CPU : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/03/universit%C3%A9s-faillite-annonc%C3%A9e-par-les-pr%C3%A9sidents.html
[5]. Par exemple : http://sociolog.cluster003.ovh.net/spip.php?article168&lang=fr et
[6]. Voir sa lettre ici : http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article5335 ; et les explications données à Libération : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2012/03/anne-fra%C3%AFsse-pr%C3%A9cise-sa-lettre-%C3%A0-fran%C3%A7ois-hollande.html
[7]. Pour une analyse, voir I. Bruno. À vos marques®, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche. Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008.
[8]. Voir l’appel et l’analyse du conseil scientifique du CNRS : https://academia.hypotheses.org/1017